Si, comme mon nom le laisse supposer, ma langue « grand-maternelle » est l’allemand, l’anglais est bel et bien ma langue maternelle, car j’ai vécu mes 24 premières années en Angleterre.
Après mes études des langues et littératures française et allemande (médiévales ainsi que modernes) à Cambridge, où je chantais dans le chœur de Trinity College, je me suis installé à Paris en 1980. Depuis, j’ai eu le plaisir de chanter avec plusieurs ensembles de « Musique Ancienne » en France et à l’étranger, dont, parmi d’autres, Les Arts Florissants, Collegium Vocale Gent, Le Concert Spirituel, Ensemble Gilles Binchois, A Sei Voci, the Harp Consort, Trinity Baroque, Daedalus, Lucidarium, Musica Florea à Prague etc…
Mais c’était en chantant comme basse de l’Ensemble William Byrd pendant 25 ans que j’ai pu participer à une recherche approfondie pour essayer de retrouver et reproduire la prononciation de l’anglais qu’auraient utilisée les chanteurs de William Byrd lui-même, puisque le directeur de l’ensemble, Graham O’Reilly, avait eu l’idée brillante de nous faire chanter la musique anglaise de la Renaissance et du Baroque avec ce que les anglais appellent actuellement « Original Pronunciation » ou tout simplement « OP ».
Au départ, Graham avait pensé qu’il serait plus facile pour les chanteurs français de l’ensemble de parvenir à cette prononciation restituée qu’à celle de l’anglais moderne ; et il avait raison, car « OP » contient certains sons que l’on trouve dans la langue française mais pas du tout dans l’anglais homogénéisé du Sud de l’Angleterre en notre époque. Très vite, nous nous sommes rendus compte d’autres avantages de cette prononciation : elle donnait une couleur à nos voix qui se mariait mieux avec les instruments anciens, surtout les violes, mais aussi – Oh, merveille ! – TOUTES les rimes des airs de Dowland et de ses contemporains, ainsi que de tous ces trésors que sont les madrigaux anglais, pouvaient tout à coup rimer véritablement et, de surcroît, DEVAIENT rimer ! A ma connaissance, l’Ensemble William Byrd est le seul à avoir chanté systématiquement et sans compromis « OP » pendant plus d’un quart de siècle.
Ayant passé tant d’années à réfléchir aux complexités de « OP » telles que présentées dans les très sérieuses 1082 pages des deux tomes de English Pronunciation 1500-1700 du professeur Oxfordien E.J. Dobson (Oxford University Press 1957, 2e édition 1968), et ayant chanté si souvent ces sons merveilleusement virils mais en même temps (si j’ose le dire !) d’une sensualité féminine, j’ai envie de partager les fruits de cette longue expérience avec autant de chanteurs que possible, car j’ai souvent remarqué le plaisir que cette prononciation donne aux auditeurs ainsi qu’à nos collègues instrumentistes.
Je ne cache pas que la prononciation que je propose est nécessairement une sorte de synthèse des multiples prononciations possibles que le professeur Dobson avait trouvées dans les nombreux livres sources dont il parle. Comme la majorité de la musique vocale anglaise de cette période se faisait entendre surtout dans les cadres plutôt formels de la cour royale, de l’église, des palais et des manoirs, je choisis une prononciation plutôt « cultiveé ». C’est pour cela que j’ai opté pour un R roulé à l’italienne (ou à l`écossaise ?) plutôt que le R irlandais bien que celui-ci soit (à mes oreilles) d’une beauté incomparable ; non seulement parce que le R roulé donne aux mots chantés plus d’énergie et de relief rythmique, mais également pour éviter que l’on me reproche une prononciation que certains pourraient trouver trop “rustique” (à tort ou à raison).
Je dois ajouter qu’aucun des sons que je propose n’est devenu obsolète, puisque tous sont encore tout à fait vivants dans certaines régions des Îles Britanniques, notamment dans le Nord et dans les Midlands.